AVENTURE

Et le jour s'enfuit lentement, tel le sable qui s'écoule en filet éphémère, les grains du temps semés aux vents chauds du désert...

L'immensité azur se pare d'une robe orangée aux reflets d'or et de cuivre, milles éclats pourpres s'égarent dans le ciel à mesure que le soleil se consumme dans l'horizon de feu...

La nuit est proche, elle sera longue et fraîche en cette saison, parsemée d'étoiles scintillantes, du vent chargé de sable et d'échos effrayants. La nuit, la nature se réveille en Azalaï et dévoile ses secrets les plus terribles...

La nuit tombait lentement dans cette partie du Désert Inifini, assez éloignés des champs centraux d'Alabaq. La caravane d'Ankars des Ard'Hem fusait d'un vol léger et rapide et fendait le ciel avec ardeur. Mais les bêtes montraient les premiers signes de fatigue et la nuit rendrait le vol plus dangereux, beaucoup de rapaces sortent chasser à la lune haute.

Theylur fit un signe aux autres ankars de calmer leur allure et de voler en formation reserrée et basse pour chercher un endroit où blottir un camp pour passer une nuit, si courte fut-elle. Les Ankars devaient se reposer, les hommes aussi devaient avoir l'esprit clair pour retrouver la piste de la Stèle Rose et de la clepsydre et affronter peut-être d'éventuels ennemis en route ou sur place. Cela ferait du bien à tout le monde de prendre son temps. Au pire les convois de Zhorkad ne feraient que rattraper en partie leur retard en vol constant et arriverait peut-être plus fatigués à la Stèle.

L'Ankar de Zarawoui, un Maître Malanoïs trouva une alcove naturelle dans le flanc d'une dune géante et solide, un endroit parfait pour éviter les vents chargés de sable et se défendre des agresseurs. Ils monteraient leur campement ici, mangeraient autour d'un feu, dormiraient quelques heures et repartiraient très tôt au premières lumières du matin.

Il devait aussi parler à Nou'Ham pour avoir son avis sur la situation et parler à Aliena de son agression, ce fut le moment pendant le dîner sous la grande tente, au coin du feu et sur les tapis de soie rouge et jaune...

Aliena, s’était jointe aux serviteurs près du feu qui leur étaient réservé et s’était accroupi face à la chaleur, laissant son regard danser avec les flammes comme hypnotisée par leur crépitement.
Elle n’avait pas vraiment de place attitrée, et partageait selon ses envies ou l’occasion, le repas des uns ou des autres, des petits comme des grands. De toutes façons, personne n’aurait osé lui dire quoi que se soit, pas même Theylur, quand discrètement, elle se joignait à sa table au palais.
Et ce soir là encore moins. Personne n’eut la désagréable idée de lui adresser la parole. Son air effrayant laissant deviner un esprit coupé du monde.
Elle ne sentit pas Theylur approcher pour l’inviter à les rejoindre. Elle ne l’entendit pas non plus au début, lorsqu’il prononça son nom. Puis, comme un bruit qui vous tire d’un songe, elle capta sa voix chaude et douce, qu’offre la maîtrise du pouvoir et l’expérience sage de la vie.
Le regard embrumé qu’elle lui lança, lui déclencha malgré lui un rire partagé entre spasmes hilarant et une pointe d’inquiétude, un rire jaune.

Theylur l’avait une fois de plus vu en train de se perdre dans ses pensées, le regard perdu dans l’immensité obscure qui nous gagne tous dès que l’astre du jour se couche en Azalaï. Aliena arrivait à faire abstraction de son environnement avec une facilité inouïe. Encore un des avantages de la tribu des Fawalas : habitués à parcourir l’immensité désertique et délaissée, leur esprit vagabonde autant que leur corps, et le meilleur moyen de combattre la soif est encore de s’imaginer que l’on regorge d’eau. Une force de persuasion hors du commun, la nature nous façonne si simplement…

Après avoir ri de cette situation, il se demandait ce qui pouvait la tracasser :
« Bonsoir Aliéna. Je vois que tu te pers une fois de plus dans tes pensées. Songe à rester attentive aux dangers de la nuit. Tiens, regardes… »

Theylur avança lentement vers la chevelure sombre d’Aliena, sa main frôla sa joue. Un frisson la parcoura mais ce n’était rien au trouble qui l’empara lorsque l’Illustre lui montra un Scarneck, un insecte rampant dont le venin peut-être fatal. Aliéna savait tout cela mais pourtant son attention semblait se relâcher.

Theylur reprit après avoir confié le Scarneck à un de ses Malanoïs peu à l’aise avec ce genre de bestiole :
« J’imagine que cela fait longtemps que tu n’étais plus aussi proche de chez toi. Les Rivages Rocheux sont à peine un jour de vol de la Stèle Rose… A quoi penses-tu Aliéna ? Et qui était ces hommes qui t’ont agressée ?

Nou'Ham s'était assoupie une petite heure sous sa tente, éreintée par le long vol qu'ils venaient de faire et s'était endormie sur une couverture de peau posée à même le sol.

Elle entendit en se réveillant en sursaut le brouhaha qui provenait de la tente voisine. En espérant ne pas arriver trop tard pour le dîner car son estomac criait famine elle se leva et se dirigea vers la grande tente. Elle était encore un peu assommée par le sommeil dans lequel elle était tombée.

La grande tente semblait bien gardée et cela la rassura de savoir Theylur protégé. Elle se faufila discrètement sous la tenture pour ne pas déranger et pour ne pas se faire remarquer, bien qu'ici personne ne lui ferait remarqué son absence... mais tout de même le protocole... ce protocole elle devait s'y tenir.

Son protégé était en train de discuter avec Aliena lorsqu'elle entra; elle leur adressa un petit signe de la main et alla s'asseoir non loin d'eux en n'ayant d'écoute pour le moment que pour son estomac. Ecouter les conversations et y participer viendrait après.

Nasek se leva et désigna les quelques conseillers qui allaient partir avec le convoi. L'effervescence reprit alors que Farah sortit de la grande salle accompagnée par les hommes désignés par l'illustre.
Une bonne dizaine furent contraints à faire partie de l'expédition. Nasek s'approcha d'un conseiller, relativement jeune. Il s'agissait de Saadik.

" Toi ! Tu es entré récemment dans le conseil ? Pense tu etre capable de faire partie de cette aventure ? "

Nasek essayait de tester le jeune conseiller...

Ils s'étaient donc installer au creux de cette gigantesque dune solide, les Ankars étaient attachés près d'un feu qui devait faire fuire les bêtes sauvages qui viennent harceler les campements nomades. Il y avait en tout un dizaine de tentes disposées en arc de cercle, dos à la dune et en face du feu laissant les tentes des Malanoïs entourées les tentes royales de Theylur et de sa suite.

Alors que Nou'Ham semblait émerger des brumes du soir après ce voyage déjà éprouvant, un serviteur s'approcha d'elle et lui glissa un mot à l'oreille :

"Arzaoui vous demande à l'éxterieur près des Ankars, il dit que c'est urgent et qu'il a besoin de votre avis pour une affaire de la plus haute importance."

Nou'Ham savait qu'Arzaoui était le Grand Chambellan du chateau et leurs relations étaient fréquentes au nom de l'étiquette et de la bonne marche des protocoles de la cour de Darek-Idnach.

Le serviteur s'eclipsa pour rejoindre la tente destinée au service et à l'intendance du bivouac la laissant rejoindre ou non le chambellan Arzaoui...

Elle initia un sourire attendrie et son regard se replongea dans les flammes.
« Avec tout le respect que je vous dois, ô mon maître, et malgré votre expérience de guerrier et d’homme de loi, vous ne pouvez imaginer quelle vie mon peuple doit affronter chaque jour que le désert nous offre. Vous êtes nés Seigneur dans le faste et l’apparat. Je suis née sous une tente comme celle-ci » dit-elle en désignant un des habitats de fortune qui les entouraient.
« Et encore, les mains de nos mères, ne sont pas si habiles… » Elle aperçut la Kaya Kadin qui les salua, et se souvint de l’épisode dans la chambre de Theylhur quelques heures plus tôt.

Elle prit une grande respiration et ajouta.
« Avant que vous me trouviez errante et délirante, si loin de chez moi, à la frontière de la mort, des événements avaient causé de grands chamboulements au sein de mon peuple. Des combats, des massacres au sein même de nos familles. Notre tribu a littéralment implosé et … »
Elle dû s’arrêter pour retenir les larmes qui glissaient à la naissance de ses yeux.
Les souvenirs se bousculaient mais elle avait toujours su au fond d’elle-même que son passé la rattraperait.

Elle se tourna vers Theylur et le fixa dans les yeux

« Les événements ont pris le cours que le prophète Mahojésir avait prédit, mais en empruntant le chemin le plus rocailleux.
[…]
Que savez-vous exactement de la Clepsydre de Barwal, Theylhur Ard’hem ?

Cela lui paraissait étonnant, surtout à cette heure tardive que le Chambellan veuille la voir... avait-il découvert quelque chose d'important? Cela ne pouvait-il pas attendre demain?

Elle réfléchissait à la question tout en mangeant avec entrain des galettes et des fruits... Il vaudrait certainement mieux y aller de suite, il n'avait pas voulu lui parler dans la grande tente alors que sa place y était tout à fait appropriée, cela sous entendait qu'il se cachait de quelqu'un??? mais de qui?

Nou'Ham se leva en toussotant comme pour s'excuser auprès de ses voisins de s'éclipser aussi rapidement. Lorsqu'elle passa près de Theylur avec un regard très équivoque elle lui glissa discrètement, afin qu'Aliena n'entende pas: "je reviens je vais prendre un peu l'air".
Puis elle disparu sous la lourde étoffe qui masquait l'entrée de la tente.

Theylur avait écouté patiemment et attentivement la jeune Fawala. Il commençait à peine à deviner combien sa vie était rude et combien elle aimait entretenir le doute et le mystère autour de sa propre histoire. Ne pas éveiller le moindre soupçon, ne se dévoiler qu’en cas d’extrême nécessité, se fondre dans les sables, tapi à l’abri tel ce scorpion.

Pourtant cette fois-ci, elle ne put contenir ses émotions et le fait d’évoquer ses origines déracinées l’emplissait de crainte et de tristesse. Elle devait se sentir faible et démunie et pourtant elle tenait le rythme « princier », toujours proche de l’Illustre de Darek-Idnach.

Celui-ci se fit servir les premiers plats composés de pains moelleux trempés dans du miel, des dattes chaudes qu’on avait fait revenir avec des épices, des plats de viandes en sauces sucrées salées, la caravane de l’Illustre savait conserver l’esprit du faste même au milieu du désert. Son goûteur s’empressa de faire son travail et laissa Theylur prendre part au repas.

Il poursuivit avec Aliena tout en dévorant des yeux les mets qui s’accumulaient à présent sur le tapis brodés :
« La Clepsydre. J’en sais moins que la Kaya Kadin » Il s’aperçut à cet instant que celle-ci se levait pour sortir et lui fit signe qu’il comprenait. Il continua :

« A vrai dire, je sais que c’est un puissant instrument confectionné par votre peuple et dont peu de gens savent se servir. Mais entre les mains d’un connaisseur, la Clepsydre, faite de bois d’ébène et contenant de l’eau des Hédénides, elle permettrait de contrôler le temps qui nous sépare de notre quête primordiale.

Comme vous le voyez Aliena, ma connaissance reste limitée aux savoirs des Errants, mais depuis nos cités perchées et mouvantes, j’ai bien peur que beaucoup de secrets nous aient échappé, n’est ce pas ? Que pouvez-vous me dire de plus à son sujet ? J’ai besoin de vous.»

Il esperait que cette dernière phrase retentirait dans la tête de la Fawala.

« Vous vous trompez, Mon seigneur, mon peuple n’a rien à voir avec la création de cet outil. Il ne fait que parti des avides et orgueilleux peuple de ce monde qui cherche la primeur et l’exclusivité de la réussite. »
« Mais sa réputation n’a pas toujours été à la hauteur de la réalité. Il fut un temps où mon peuple était bon. Les Barfaw’ s’en souviennent encore. Leur sagesse ne vient pas uniquement de leur grand âge, la morale de leur époque était bien différente. »
« Mon père avait connu ces temps et m’a transmis peu avant sa mort, la légende qu’ils se relayaient de génération en génération ».
« Avez-vous déjà entendu parler du disciple du prophète Mohajésir, Anouk Barwal ?

L’air attentif de Theylur la pria de continuer.
"Suite à la trahison de Najam, Mohajésir confia la Clepsydre à son ami avec la consigne de le dissimuler jusqu’au jour où un peuple serait assez digne pour l’utiliser honnêtement et mener les autre betnazars vers les Hédénides.
Si ce peuple arrivait un jour…
Une sorte de joker, qui changeait les règles pour accélérer la quête"
Elle sourit de la comparaison avec l’homme immense et somptueux qui se tenait près d’elle.

« Je ne sais comment mais Najam appris cette histoire et se mit en chasse du pauvre disciple. Traqué, épuisé, une tribu de fawalas le trouva sur sa route à moitié mort. Il est aisé pour nous autres de se cacher, nous ne restons jamais plus de deux nuits au même endroit. Il vécu parmi nous jusqu’à sa mort. »
Le regard d'Aliena balaya, inquiète, l'assemblée. Elle se rapprocha doucement de Theylur qui se figea. Il n’avait pas l’habitude qu’on le côtoit de si près, excepté lorsqu’il accordait ses faveurs nocturnes ...

Il sentit sa respiration frôler son coup et elle chuchota à son oreille.
« Les anciens savaient comment faire fonctionner la Clepsydre. Anouk leur avait appris avant sa mort. Ils ont tous été tués par les jeunes fawalas. Aujourd’hui il n’y a aucun rescapé. Mais mon père m’a dévoilé ce secret en rendant son dernier soupir »

Elle resta quelques secondes immobile, dans un silence partagé au milieu du brouhaha de la tente. Theylur se retourna pour croiser son regard et se retrouva particulièrement près de son visage qu’il trouva particulièrement envoûtant dans cette lumière.

Alors que Nou’Ham parvint à hauteur des Ankars pour y rejoindre Arzaoui qui avait quelque chose d'important à lui faire part, celle-ci s'arrêta près des oiseaux majestueux. Ils étaient nerveux, cela ne leur ressemblait pas. Ils étaient choisis pour leur grande docilité et leur robustesse afin de garantir un voyage sans désagréments à la caravane princière. Cependant la nuit en plein désert, tout le monde était un peu nerveux.

Nou’Ham voulut retourner à la tente constatant qu’Arzaoui s’est visiblement joué d’elle quand soudain une main surgit de l’obscurité et l’empêcha de hurler. La main fut immédiatement suivie par une lame dont la froideur vint faire frémir son cou dénudé à présent.

L’homme qui la tenait, visiblement grand et fort n’eut pas de mal à la maintenir. Il lui chuchota à l’oreille sur un ton menaçant et insistant :

« Tu ne bouges plus ou ton sang viendra souiller le sable. Je ne te veux aucun mal mais je n’hésiterai pas à tuer pour notre cause. Tu vas me suivre et tout ira bien. »

Theylur resta envoûté par son regard, cette proximité impossible, ce souffle suave au creux de leur intimité ne le laissa pas indifférent. Elle avait cette force incroyable dans son regard, une volonté hors du commun qui lui fit presque oublier le sujet de leur conversation. Lui, l’homme de pouvoir, d’étiquette et d’honneur qui n’avait pas l’habitude de perdre de vue ses objectifs princiers se laissaient aller à son propre émoi, un désir qui le trouble.

Si loin de chez eux, en plein milieu du désert de la solitude, les regards se perdaient dans les volutes embrumées des torchères d’encens qui embaumaient la tente royale. La douce et subtile idée de parcourir ses lèvres d’amarante et de sentir son souffle profond se glisser au creux de sa bouche le fit frémir. Il dû faire un effort afin de sortir de cette si agréable absence en espérant que celle-ci ne se remarqua pas trop auprès de son personnel, de ses compagnons mais surtout de la troublante Aliena.

Il poursuivit, relevant le défi de leur trop grand proximité, non sans une certaine malice :
« Ainsi donc chère Aliena, il se trouve que je me trompe sur de nombreux points. Vous avez au moins la franchise de me le dire clairement, certains de mes plus proches conseillers n’en feraient pas autant, de peur de se retrouver exiler sous la pression de ma colère.

Mais surtout, et c’est plus important que tout… »

Theylur s’approcha un peu plus encore et fit un signe aux serviteurs de sortir de la tente. Ils se retrouvèrent en un instant réunis dans le murmure des toiles froissées au vent, seuls. Il lui dit parcourant du regard ses cheveux de feu et d’ébène :

« … vous savez comment vous servir de cet objet mystérieux. Rien ne vous résiste donc, Aliena ? »

Alors elle le fixa plus intensément encore, un sourire inexplicable dessiné sur les lèvres. Et pendant qu’il se perdait à en imaginer la douceur, il ne remarqua pas l’expression concentrée qui avait emparée la jeune femme.
Un bruit de métal s’écrasant sur le sol sableux, le fit sursauter, les muscles tendus pour parer le danger.
Il se retourna et suivit du regard le plat d’étain qui roulait à leur pieds sans élans ni force apparente. Le rire amusé d’Aliéna mit fin aux rondes effrénés de l’objet qui se stabilisa dans un bruit sourd.

« Ne vous moquez pas de moi Theylur Ard’hem. » lui dit-elle dans un souffle.

Elle se releva, lui laissant à son insu, contempler son corps se déroulant devant son visage.
Le feu des lampes semblait bien faible en comparaison de celui qui brûlait sa peau. Elle se dirigea vers un bord de la tente, là où le plat intrépide avait commencé sa course. Adossée contre la toile tendue, elle lui tournait volontairement le dos.

« J’ai eu entre mes mains de quoi faire perdre la raison à plus d’un homme. J’en ai gardé quelques souvenirs et… savoirs-faire. » Elle rajouta d’un ton ironique « Tout souverain que vous êtes, vous ne m’intimidez pas… »
Quelle effronterie, elle ne pouvait s’empêcher de se jouer de lui, mais elle avait si peur de perdre le contrôle. Elle naviguait constamment entre la peur de lui déplaire et l’envie masochiste qu’il la renvoie hors de sa vue, comme on avait si souvent fait avec elle.

Nou'Ham surprise et effrayée ne bougea pas, elle fut parcourue d'un long frisson de terreur. Elle resta quelques secondes à chercher par quel moyen elle pourrait se sortir de cette situation...

Un coup d'oeil aux alentours lui fit vite comprendre que rien ne pourrait l'aider pour le moment. Les gardes ne semblaient plus être là, et même s'ils avaient été proches, la nuit était trop noire et comme l'homme l'avait entraînée dans l'ombre de la tente, elle n'aurait pas été plus avancée.

Elle décida de faire ce que l'homme lui disait et tout en lui faisant signe de la tête qu'elle obéirait à ce qu'il lui dirait de faire, elle fit glisser de son doigt la bague que la père de Theylur lui avait offerte. Lorsque l'inconnu la lacha elle se retourna rapidement et jeta la bague, derrière elle et en direction de l'entrée de la tente d'où elle venait de sortir.

L'obscurité l'aida car l'homme ne remarqua pas son mouvement. Elle ne discernait pas son visage, mais voyait très bien la lame briller contre son bras. Il l'emmenait dans le sable d'un pas pressant.

Theylur Ard’Hem, fils de Aarhim Ard’Hem, Illustre de Darek-Idnach la Rayonnante, Calife de la Grande Errance, Chef spirituel au nom du culte du Prophète de Mohajésir et de Dieu tout puissant, Prince du Palais de Jade et d’Opale, lui, le chef de guerre et guide pour tout un monde s’était fait surprendre par la brutalité d’un plat en étain en présence d’une fawala qui ne connaît décidemment rien aux bonnes manières de la cour. Si la Kaya Kadhin était là, pour sûr qu’Aliena n’aurait plus aucun crédit à ses yeux…

Mais Theylur riait de sa frayeur, se méfiait de ses désirs en ces temps de quête sacrée et de mission périlleuse et admirait cette jeune effrontée, plus frivole qu’un papillon de Palmyr, aussi docile qu’un karbar et aussi attirante qu’une fontaine cristalline sous une torpeur blanche et assoiffante. Elle était ce qu’il ne pouvait atteindre, elle représentait ce qu’il ne souhaitait connaître et en même temps désirait le plus au monde.

Mais elle était surtout là. Impertinente et agaçante, fragile sous son masque de répartie, soumise à ses peurs et à ses sentiments qu’elle ne maîtrise pas. Lui incarne la maîtrise, le savoir, la sagesse, le désir mûr et raisonné. Elle, était un grain de folie, une tornade aussi vivace qu’éphémère, pleine de surprises mais aussi de dangers. Il ne pouvait raisonnablement se fier à elle. Encore moins en ces temps de trouble. Il se devait de garder tous ces moyens et devait finir cette soirée dignement :

« Ma très chère Aliena, vous ne connaissez donc rien aux bonnes manières et je dois dire que je m’en réjouis d’une certaine manière cela est plaisant et divertissant. »

Ces mots devaient la heurter, il voulait la déstabiliser.

« Mais vous comprendrez que je n’ai guère le luxe de perdre la raison entre vos mains averties et expertes en ces temps sombres. Et je doute que je puisse connaître l’intimidation sous votre emprise. »

Saura-t-il la toucher là où il faut ?

« La nuit sera courte. Je vous conseille de rejoindre votre tente pour vous y reposer. Vous devez être en pleine possession de vos moyens pour aborder la journée de demain… »

Il voulait la blesser mais s’en voulait déjà d’avoir été aussi mesquin et arrogant. Décidemment cette femme le troublait et il ne pouvait cesser de penser que la nuit serait plus douce si il partageait la sienne…

L’homme sombra dans la nuit avec sa prisonnière. Il se hâta et l’emmena derrière une petite dune plus éloignée du campement. Sa dague menaçait toujours le cou de la Kaya Kadhin et la fit se résigner à tenter plus que l’indice de sa bague. Elle perçue alors une lueur et entendit des rugissements sourds dans l’obscurité.

L’homme la retourna et lui fit découvrir sa cachette. Deux hommes attendaient une torche à la main et vêtus de capes bleutées. Ils chevauchaient des Gnawoura, une sorte de gnou allongé : un animal que l’on rencontre peu si près des routes citadines, plus habitué aux steppes argileuses du Nord. L’homme la fit monter sur un troisième animal, la bâillonna et attacha ses mains à la selle de cuir. Il se mit devant elle et fit détaller la bête dans la nuit.

Le pas était rapide, élancé et semblait glisser sur le sable qui dévalait les pentes abruptes. De toute évidence, ils avaient un plan précis et surtout semblaient très bien connaître la région. Pourtant ils ne ressemblaient ni à des zhorkadiens, ni à des membres disséminés de la tribu Fawala. Ils parlaient entre eux un dialecte que la Kaya Kadhin reconnaissait à peine.

Que lui voulaient-ils ? Pourquoi l’attirer elle ? Exerceraient-ils un moyen de pression sur Theylur ? Pour obtenir quoi ? Les hommes poursuivaient leur route et la nuit semblait plus profonde que jamais.

Le grand ankar était prêt à partir. Les derniers bagages avaient été acheminés jusqu'à la plateforme et chargés à bord du Hulh, tente robuste solidement accrochée sur le dos de l'ankar et qui servait au transport d'une vingtaine de personnes.

Farah était l'une des dernières sur les lieux. Vêtue d'une combinaison légère de camouflage couleur sable elle monta à bord. Plusieurs armes blanches ornait sa ceinture de cuir. Sa détermination était grande et les dangers étaient plus que probables.

Une fois toute l'équipée prête, un djuluf se présenta devant l'ankar et cria " Shulaima !" . Dès lors l'ankar déploya ses grandes ailes brunes, puis les fit battre trandis que le sable accumulé sur la plateforme se mit à voler sous l'effet du vent créer par les battements de plus en plus importants de l'animal.

L'ankar prit son envol et en quelques secondes, il se trouvait déjà loin du betnazar. Les forces zhorkadiennes entraient à présent en jeu ....

Mais Theylur se souvint de sa mission et ne pouvait s’empêcher de songer à son issue peut-être bien heureuse. Si il mettait la main sur la Clepsydre de Barwal, son règne n’aura pas été vain, ni celui de ses 38 prédécesseurs. La grande lignée des Ard’Hem serait donc celle de la prophétie, celle qui conduirait les hommes libres du désert de l’Azalaï en terre bénite, aux Hédénides, les jardins resplendissants, source de toute vie.

Mais pour l’instant, il lui restait encore tout à accomplir. Il présenta ses honneurs à Aliena et quitta la tente en lui lançant un regard profond et évocateur. Une fois dehors, il frissonna surpris par les heures fraîches de la nuit azalane. Il s’approcha quelques instants du feu alimenté par les Malanoïs qui montaient la garde lorsque l’un d’eux se précipiter vers lui depuis les tentes du pourtour.

« Noble Ard’Hem, votre majesté califale, la Kaya Kadhin à disparue du campemen !! »

Le ciel venait de s’abattre, la poursuite de sa mission allait débuter plus vite que prévu :

« A-t-on fouiller les alentours ?
-Oui mon seigneur, répondit un des Malanoïs, aucun résultat mais nous avons retrouvé ceci près de sa tente. »

L’homme lui tendit une bague marquée du sceau califale des Ard’Hem, une pierre d’ambre soigneusement polie dans laquelle se reflétait un sillon liquoreux et rougeoyant, le sable et le sang réunis. Celle-ci n’était pas habituelle, elle contenait la marque du règne précédent celui de Theylur :

« Par Mahojésir, cette bague fut un présent de mon père pour la Kaya Kadhin, elle a été kidnappée, je ne peux qu’expliquer ainsi ce geste désespéré. »

Theylur se tourna et vit Malik passer par là, il l’appela et lui annonça :

« Malik, je t’ordonne de monter une expédition avec quelques Malanoïs et de suivre toutes les traces qui partent du campement. Les ravisseurs ont du se déplacer à dos d’animal terrestre. Prenez un Ankar. Pendant ce temps, nous autres allons partir au plus vite avec notre caravane. Tâcher de nous tenir au courant de votre avancée par Narjar. Faites-vite… »

La chevauchée nocturne se poursuivait alors que le trot des Gnawoura commençait à ralentir. La Kaya Kadhin fut surprise par ce soubresaut et se redressa pour tenter d’apercevoir le campement de ses ravisseurs.

Au loin, à quelques dizaines de mètres de là se dévoilait l’entrée d’une caverne. Les hommes échangèrent quelques mots dans leur dialecte rocailleux et se séparèrent à l’entrée de celle-ci. Le Gnawoura de Nou’Ham poursuivit sa route au milieu des roches saillantes et des stalagmites imposantes pendant que les deux autres restèrent à l’entrée pour monter la garde certainement.

L’écho du pas de l’animal raisonnait au lointain trahissant l’immensité de l’endroit, des dizaines de corridors et boyaux sombres s’échappaient de la caverne principale. Des torchères éclairaient leur chemin. La Kaya Kadhin ne put s’empêcher de regarder autour d’elle. A mesure qu’ils s’enfonçaient dans le réseau, la caverne était mieux entretenue et mieux éclairée, comme habitée. Puis soudain les murs se mirent à parler, ils pénétrèrent une vaste salle caverneuse dans lequel se trouvait des milliers de demeures de fortune au agrippées les unes aux autres et évitant un noir précipice qui s’étendait le long de leur chemin.

Cela lui revint peu à peu, ils ne devaient être qu’un mythe : les rescapés du grand Hosaam. Ils étaient là : toute une tribu réunit dans les entrailles d’Azalaï. Une peuplade oubliée, hommes, femmes et enfants qui avaient sombrer dans les insignifiances du monde des nomades, dans le refus de les admettre peut-être aussi…

Malik qui était au campement, somnolait vaguement en quête de repos. Il marchait les yeux à moitié fermer, il suivait un chemin préalablement défini d'une regard le menant dans sa petite suite peu acceuillante mais qui lui aurait suffit tellement le sommeil lui était lourd. Enfin il était devant l'entrée quand une voix raisonna. C'était Theylur Ard'Hem, il ne savait quoi dire alors il le laissa parler .

« Malik, je t’ordonne de monter une expédition avec quelques Malanoïs et de suivre toutes les traces qui partent du campement. Les ravisseurs ont du se déplacer à dos d’animal terrestre. Prenez un Ankar. Pendant ce temps, nous autres allons partir au plus vite avec notre caravane. Tâcher de nous tenir au courant de votre avancée par Narjar. Faites-vite… »

«Bien mon seigneur, je m'en ferai une joie d'accomplir ma mission avec la plus grande ferveur et loyauté. Mais...un ankar risque de gener l'enquête. Ces ailes risquent de masquer les traces en remuant le sable, je ne peux prendre ce risque et il est bien trop grand, nous risquerieons d'être reperer de par sa taille et ses cris. Des betnirs seront amplement suffisant.»

Et Malik se hata de préparer le départ. Il prit des vivres pour 4 jours, quelques Malanoïs montés sur des betnirs. Biensûr il n'oublia pas les armes de sa propre fabrique. Ils commencèrent leur longue marche, suivant les traces que les opposants avaient laissé. Le vent se leva tard dans la nuit augmentant la cadence de Malik et sa troupe. Au bout de quelques heures ils arrivèrent près d'une grande dune ayant une sorte d'entrée en son milieu. Mais Malik sentait qu'il y avait du mouvement autours. Il établit un petit camp à 200 mètres et y laissa plusieurs de ses hommes. [...]


PS: j'ecris la suite ce soir désolé.

D'enormes rochers avaient contraints l'Ankar à se poser. La stèle blanche n'était plus très loin , mais il fallait à présent mettre pied à terre.
Le grand oiseau était au bord de l'épuisement.

Des miliciens avaient créer un campement improvisé, assez léger pour permettre un départ rapide mais aussi robuste pour protéger l'Ankar en cas de tempête des sables.

Farah descendit et se dégourdit les jambes qu'elle sentait à peine. Les longs voyages ne lui plaisait guère. Il était temps de passer à l'action.
Elle fit signe à un homme de lui fournir une gourde , qu'elle s'empressa de prendre pour se désaltérer. Après deux bonnes gorgées , elle la ferma soigneusement et l'accrocha à sa ceinture.

" Nous allons continuer à pied. Récupérez quelques instants de ce voyage inconfortable, puis mettez vous au travail ! Il me faudrait 5 volontaires pour partir en éclaireurs ."

Des miliciens s'approchèrent, déterminés à suivre leur chef.

" Prenez armes, cordes et vivres, et laissez de côté ce qui est inutile. Nous devons voyager léger et en même temps il faut assurer la zone. Les dangers sont multiples ici..."

Aliena regretta un peu sa froideur, elle avait perdu une occasion de partager avec Theylur un moment rare et elle avait tant de choses à lui dire.
L’agitation qui s’annonça à l’extérieur de la tente tout à coup la tira de ses réflexions et l’incita à sortir. Elle vit s’éloigner Theylur, telle une ombre majestueuse, deux serviteurs inquiets sur les talons.
Elle arrêta une jeune servante les bras chargée de plats entamés qui se hâtait de ranger.
« Toi, dis moi, d’où viens cette agitation soudaine ? Ne restons nous pas ce soir en ces lieux pour camper ? »
Nerveuse et agitée, la jeune fille répondit
« Le Maître a demandé que l’on replie le campement au plus vite. Il est arrivé malheur »
Et tout en s’en allant elle rajouta
« la Kaya Kadhin a été enlevée »

Cette quête semblait réveiller tous les esprits de ce désert maudit. Elle frissonna. L’air devenait glacé. Les nuits dans ces lieux arides pouvait brûler d’un autre soleil. La lune dessinait son cercle parfait dans un ciel trop calme pour ne pas annoncer de mauvais présages.

Les derniers serviteurs finissaient de vider la tente de ses attraits et de ses vivres. Aliena sentait même l’odeur étouffeé du feu que l’on venait d’éteindre derrière elle.
Elle qui voulait rentrer un peu se réchauffer… Elle entendit encore un peu de bruit et décida de demander à l’ultime serviteur de rallumer un peu de chaleur pour elle en attendant que tout soit prêt pour le départ. Elle se retourna et pénétra dans la tente. Ses yeux plissés cherchaient en vain une forme humaine à la tâche. Elle voulut appeler mais une main la bâillonna dans son élan.
« Ne fais pas de bruit, c’est moi »
D’un geste brusque elle se retourna pour faire face à son assaillant.
« Swali ! »

Le silence et le calme de la dernière tente qui devait être rangée fut le lieu propice pour Swali. Il avait suivi les Ankars royaux de Theylur Ard’hem de loin, en chevauchant lui-même un volatile voyageur. Les amples mouvements des Ankars royaux remuaient l’air ensablé et les volutes étaient visibles à plusieurs kilomètres à la ronde, rien de plus simple pour un œil averti et connaisseur des déplacements venteux dans le désert.

Il s’était ensuite faufiler au milieu du campement en attendant le moment idéal pour se rapprocher d’Aliena et de terminer ce qu’il avait commencé sur Darek-Idnach avant le départ de la caravane. Il la prit avec lui, se fraya un chemin au milieu des bâches et des rochers pour s’éloigner du campement lorsqu’un Malanoïs le surprit :

« - Alter Knar tor ! Alter Knar Tor ! lui cria le garde princier en brandissant un couteau à lame courbe. Il aurait été bien imprudent et totalement suicidaire de vouloir échapper à la lame d’un Malanoïs si proche et bien décidé à l’arrêter. Swali recula lentement en essayant de trouver une issue impossible…

Deux autres Malanoïs se postèrent de chaque côté d’Aliena et de son ravisseur lorsque Theylur apparut aux côtés du premier Malanoïs qui se trouvait à présent en face d’eux. Un vent léger et tiède qui annonçait le petit matin fit battre dans l’air les vêtements drapés des hommes.

Theylur prit la parole à son tour tandis que Swali se sentait de plus en plus menacé et pris au piège…

« Ne bouge plus ! Tu sais pertinemment que tu n’as aucune chance face à trois Malanoïs. Ton oiseau vient d’être capturé par d’autres de mes serviteurs et trois lames saillantes sont pointées vers toi, prêtes à te transpercer au moindre geste brusque envers Aliena. Si tu tiens à la vie, laisse la lentement me revenir… »

Le vent se fit plus intense, les Malanoïs observaient une rigueur et une maîtrise de soi imparable, un contrôle de l’espace et de leurs mouvements qui donnaient à leur geste des allures de ballet. La sueur se perla sur le front du ravisseur et des frissons lui parcoururent le dos. La situation devenait très délicate…

Theylur reprit :
« Il vaudrait mieux pour toi que tu m’obéisses. Nous sommes en pleine nuit, perdus au milieu du désert à des milles de cités mouvantes. Je pourrai aisément me passer de justice. Libère cette femme immédiatement ! »

Son regard brillait dans la nuit, ses yeux embués trahissaient sa peur et l’affection qu’il portait à Aliena. Elle était en danger, il ne s’était pas rendu à quel point il tenait à elle…