AVENTURE

Un baiser salé, ses lèvres brûlantes contre les siennes et son regard si déterminée, effrayée aussi mais amoureuse, fragile et désirable… Une rose du désert qui s’épanouissait au creux de cette tente perchée sur le dos d’un oiseau volant à la recherche d’une Stèle au milieu de nulle part dans les confins étouffants de la terre azalane… Après l’arrivée de Akhim, il se leva et jeta un regard encore à sa dulcinée accompagné de ces quelques mots murmurés : « Ton regard, tes mains et tes lèvres sont les garants de ma confiance envers toi, ne me cache plus rien, jamais… »

Il lui fit un baiser sur la main et s’en alla vers l’avant de la tente dans l’encart réservé aux Djulufs et à ses Malanoïs, Akhim poursuivit pendant que Theylur se penchait par-dessus bord pour admirer le désert et se rendre compte du terrain qu’ils auraient à affronter : « Illustre Ard’Hem, voilà la Stèle Rose. Aucun campement à 10 artoums à la ronde, mais ces quelques traces dont ne nous ne connaissons la provenance. »

Akhim lui montra du doigt de vastes formes géométriques, cercles et empreintes calligraphiées à même le sol, gravés par le feu dans les arpents rocheux. Theylur prit un instant et déclara : « Ce sont des Fresques Houboutou, nous devons être sur leur domaine. D’après les inscriptions, nous survolons actuellement un territoire sacré, il doit s’agir de la cité enfouie de Fouhndrir. »

Les autres écarquillèrent les yeux et se regardèrent en se demandant ce que la belle Aliena avait bien put faire à leur maître, Akhim, impétueux de toujours, osa lui rétorquer : « Sauf votre respect Illustre Ard’Hem, mais je ne vois aucune ville ?! »

Theylur resta quelques instants à réfléchir en regardant l’horizon et déclara : « Bien sûr Akhim, les Houboutou vivent sous terre depuis le déluge du Grand Hosaam. Il doit y avoir un moyen de pénétrer au sein de leur cité. Là-bas !! »

Theylur pointa du doigt un vaste monticule rocheux. L’Ankar royal se déplaça au-dessus de celui-ci et dévoila une profonde cuvette dont on ne pouvait apercevoir le fond. Theylur dit :
« - Nous y sommes, c’est par ici !!
- Mais c’est un volcan ?! répondit Akhim
- Précisément, les Houboutou sont passés maîtres dans l’art de maîtriser le feu souterrain, je suis certain que ce précipice nous mènera directement à leur cité enfouie… Malanoïs, préparez-vous à descendre. »

Le Djuluf, maître de l’Ankar royal fit virevolter d’obscures formules dans les airs alors que le volatile commença à stabiliser son vol au-dessus du cratère. Les Malanoïs firent descendrent des cordages et se laissèrent glisser le long de ceux-ci. L’un d’eux se mit à crier : « Par ici !! Il y a un escalier qui s’étend le long de la paroi du cratère jusque vers les profondeurs !! »

Akhim n’en crut pas ses yeux, un escalier taillé à même la roche, des milliers de marches qui donnaient vers les profondeurs sombres.

Theylur se tourna vers Aliena : « Je te fais confiance et j’ai besoin de toi. M’accompagnes-tu ? »

Basheer avait été un peu surpris de voir Farah utiliser les pouvoirs du Najam. Il n’avait jamais soupçonné qu’elle possédait ce genre de capacité et surtout qu’elle en avait suivi les cours. Sans aucune remarque sur le sujet, il reprit son cimeterre en main et chemina à ses côtés, le souffle ralentit volontairement et tous les sens aux aguets.

Il dépassèrent la tanière du scarabée, encombrée de petits squelettes difficilement identifiables et de résidus de roches dissoutes par la salive corrosive de ces créatures redoutables. Sans trop s’attarder, le djuluf vérifia ses doutes :

" A la quantité et à la fraîcheur des excréments, un couple vivait ici. Je ne sais pas lequel vous avez tué, du mâle ou de la femelle, mais il vaudrait mieux ne pas être dans les environs lorsque le rescapé s’apercevra du drame. Eloignons-nous rapidement, par prudence ou nous ne verrons vraiment jamais la Clepsydre."

La dureté de sa voix ne laissait aucun doute quant au sérieux de ses dires. Mêlant le geste à la parole, ils s’éloignèrent d’un pas soutenu. Mais bientôt, les boyaux se multiplièrent et devinrent sinueux. Plusieurs d’entre eux portaient visiblement la trace de la main de l’Homme. Malgré tout, les Houboutous, en peuple intelligent et conscient de sa responsabilité, avaient creusé des corridors entiers, sans aucune raison. Il était donc hors de question de s’aider de ce point, dans le souci d’orientation qui commençait à se poser :

" Je n’avais pas du tout prévu de visiter des grottes. A part marquer notre passage, avec le risque de laisser un indice à d’autres visiteurs, je ne vois pas comment nous éviter de nous perdre."

Elle était là…

Irréelle, majestueuse et imposante malgré sa simplicité, placée sur un rocher recouvert d’une coulée de lave. Un emplacement semblait lui avoir été taillé là, juste pour elle.
Gardée dans le fin fond de la terre par ce peuple oublié, protégée de l’extérieur pour ne pas attirer convoitises ou guerres.
Elle semblait faite en verre, mais nul n’avait réussi à la détruire par le feu. Ses deux parties arrondies quasiment identiques et inversées l’une sur l’autre étaient remplies d’une substance bleuâtre d’où émanait un halo de lumière. Sur chaque partie de la clepsydre était dessiné très finement et avec de minuscules opales un betnazar ; cela Nou’Ham ne le voyait pas de l’endroit où elle se trouvait mais elle se souvenait de ces magnifiques représentations.

Simplement, elle reposait depuis des dizaines d’années dans cette caverne gigantesque où Nou’Ham pénétra. Celle-ci, les yeux fixés sur l’objet, comme envoutée par la magie qu’il dégageait, ne remarqua pas de suite l’environnement hostile dans lequel elle se trouvait.

Le Pasha la retint par le bras lorsqu’elle continua à avancer, les yeux rivés sur la clepsydre sans regarder alentours. Elle sentait bien la chaleur incroyable qu’il y avait là et les efforts qu’elle faisait pour respirer, mais ce n’est que lorsqu’il l’appela qu’elle sursauta et fit un pas en arrière. Tout à coup, elle voyait.

Elle se trouvait à l’entrée d’une caverne gigantesque. Le grondement qu’elle percevait depuis un moment provenait de la lave en fusion qui traversait la caverne comme une rivière. Nou’Ham avait l’impression de se trouver sur l’une des berges de celle-ci.
Nul besoin de lumière ici, outre le halo qui provenait de la clepsydre de l’autre côté, la lave projetait des volutes de fumées oranges et rouges et ces lueurs se reflétaient sur la roche.
Partout autour d’elle se trouvaient des coulées de lave séchée plus ou moins anciennes d’après leur couleur. Elle se rendit compte alors que des petites explosions projetaient par endroits la lave contre les parois de la roche et la sorte de porte par laquelle elle était entrée en était tapissée.

Elle ne voyait pas vers où montait la fumée dégagée par la lave et elle ne fut plus tout à fait rassurée de se trouver à quelques mètres seulement de ce cratère. La rivière de lave continuait sur une centaine de mètres de part et d’autre et elle s’aperçut que des souterrains partaient un peu plus loin vers d’autres galeries creusées là par la main de l’homme.

Elle resta un moment à regarder ce spectacle, comme irréel ; la clepsydre était là... et pourquoi Le Pasha avait-il voulu la conduire là et lui montrer cette cache ?...

Elle saisit la main qu’il lui tendait au-dessus du vide, qu’elle ne craignait pas. Ce n’était ni le moyen d’y parvenir, ni les sacrifices qu’il faudrait concéder qui lui faisait peur, mais bien l’issue de cette aventure où elle avait tout à perdre, tiraillée entre son cœur et… ses entrailles.

Une bourrasque de vent, inattendue, fit faire un écart à l’oiseau et basculer Aliena dans le vide.
Theylur resserra sa poigne, le cœur figé. Ils n’avaient pas eu le temps de l’attacher solidement. Elle se sentit flotter dans l’air particulièrement chaud qui s’échappait du volcan et entendit l’Illustre donner des ordres pour rapprocher l’oiseau de l’antre béante. Elle avait imaginé sauter les quelques mètres qui la séparaient de l’échelle, mais Theylur tenait sa main avec une telle poigne qu’elle pensait même ne plus jamais pouvoir se servir de ses doigts…

Elle atteint enfin l’épais cordage et se maintint solidement. Mais les ailes de l’ankar royal associées aux bourrasques qui naissaient dans cet endroit étrange, balayaient son visage avec une telle puissance, que le vent arracha son chouffir et dévoila une somptueuse chevelure bouclée aux reflets auburn. Elle ne l’avait jamais ôté en présence de personne, habitude ancrée dans son esprit de fawala. Elle se sentit un instant comme mise à nu et regarda s’envoler la précieuse étoffe dans les profondeurs sombres qui s’étendaient à ses pieds.

Ce qui suivit fut à la hauteur des légendes qui circulaient sur les fawalas.
Du haut de sa dune, où il s’était à présent relevé fièrement, Swali contemplait le massacre sans le moindre état d’âme.
Il ne voyait pas de sang, il voyait le fruit de son génie.
Il ne voyait pas les corps inertes et déchiquetés, il voyait ses hommes obéissants et efficaces.
Il ne voyait pas les volutes de fumées et le matériel saccagé, il voyait le signe pour lui de partir accomplir son destin.

Il laissa à ses hommes le soin de finir d’anéantir la troupe Zorkhadienne et se rendit à l’entrée d’une grotte qu’il avait repéré, il y a bien longtemps. Lors d’un de ces nombreux périples sans but qui s’avéra, cette fois-là, plus fructueux que les autres.
Là, il avait trouvé, un labyrinthe de parcours entrelacés dans les roches et les sous-sol, bien plus complexes et secrets que les chemins bien connus des fawalas, qui permettaient à ces derniers, de gagner du temps et un peu de fraîcheur dans leur fuite permanente.
Là, il avait trouvé sa raison de vivre, au plus profond des entrailles de la terre.

Il récupéra la torche de fortune qu’il s’était préparé, et arracha les ronces séchées qu’il avait disposées en tas devant l’entrée. Il s’accroupit et entama la descente d’un conduit étroit à mains nus contre terre, les genoux écorchés par la roche, étrangement chaude.
De là, il récupèrerait le boyau principal qui devrait lui permettre de rattraper rapidement Farah et son maître Djuluf. Il n’aurait alors qu’à les suivre et agir le moment venu.
Il savait d’instinct, qu’alors, Aliena ne serait pas loin. Il le sentait au plus profond de ses entrailles. Cette idée le fit sourire...

Les boyaux des gorges de Hul étaient vraiment tortueux. Farah était perdue mais la clepsydre devait revenir à tout prix à Zhorkad.
Elle décida brusquement de faire une halte.

" Ce dédale me donne mal à la tête. Soufflons quelques instants, d'autant plus que la chaleur se ressent de plus en plus". Elle dit cela en faisant un clin d'oeil à Basheer, afin qu'il comprenne son petit jeu

Les parois de la grotte étaient chaudes, ce qui signifiaient bien qu'il y avait de l'activité à cet endroit.Farah prit un peu d'eau qu'elle but lentement pour aprécier chaque gorgée. Refermant sa gourde, elle dit à voix basse à Basheer :

" Dégaine ton arme, ça fait un petit moment que quelqu'un nous suit..."

Elle prit ses deux petites dagues en alliage de Fyh, matériau très léger et tranchant à souhait.
Collant son dos contre une paroi , elle attendit patiemment qu'une présence s'approche pour se jeter dessus à la moindre apparition.

Un milicien était entré en trombe dans la chambre de Nasek, qui faisait des recherches dans ses vieux grimoires personnels.

Il lui annonca que l'ordre de Najam avait ressenti de terribles pertes près des Gorges de Hul. Etait-ce le convoi envoyé là-bas ? Des troupes de malanois qui avaient péri sous le coup des miliciens ? Des nomades qui s'entretuent ? Toutes les possibilités étaient à envisager.

Nasek n'était pas du tout content. Il s'approcha du milicien lui prit la main et lui cassa un doigt. L'homme se jeta à terre sous l'effet de la douleur et se prosterna devant le grand Illustre qui lui dit :

"Ne t'avises plus d'entrer ici sans frapper ! "

Nasek s'empressa d'enfiler une toge plus ample et sortit rapidement pour rejoindre l'ordre.

Arrivé là bas, il en apprit un peu plus : des fawalas en surnombre avaient massacré les membres d'expedition.

Le grand Illustre eut le visage grave. Sa protégée avait succombé à une armée de minables. La risposte allait être immédiate.
"Que l'armée se prépare, nous allons rendre une visite aux Fawalas ..."
Un conseiller présent dans la grande pièce s'approcha et dit :
"Des troupes sont déjà en route cher Illustre !J'ai pris la liberté d'envoyer des renforts terrestres au cas où ..."
Le conseiller eut un sourire forcé, ne sachant pas si cette initiative allait satisfaire Nasek.

"Très bien ! Vous en serez récompensé quand tout sera terminé !"lui lanca Nasek.
Il invita ensuiteles disciples à former un cercle autour de lui.

" Je vous demande de vous concentrer, nous devons répondre aux agissements de ces barbares, qui ne méritent plus de fouler les terres azalanes. Priez sans cesse, à la gloire de Najam le Grand.
Il faut que vous puissiez me donner assez d'energie pour..."

Le conseiller qui venait d'être félicité coupa soudain la parole à Nasek comprenant ce que Nasek s'apprêtait à faire :
" Vous n'allez quand même pas faire cela ? Vous ne pouvez pas ! Vous savez bien qu'il peut devenir incontrôlable ! "

Les disciples avaient déjà commencé le rituel de prière tandis que l'illustre l fit signe aux gardes de prendre le conseiller et de l'amener auprès de lui.

Nasek eut un sourire en regardant l'homme terrifié :
" Cela tombe bien , j'ai besoin d'un corps, pour le faire venir et ce sera le votre ..."

Lorsque les renégats fawalas firent irruption sur le plateau rocheux, l’ankar noir commençait déjà à subir les effets de la drogue administrée par le traître. L’animal regarda les formes vociférantes se jeter sur les derniers miliciens zorkhadiens. Surpris et écrasés sous des assaillants au moins dix fois plus nombreux, les quelques hommes succombèrent dans la poussière, incrédules.

Au plus profond de son être, le grand oiseau savait qu’il aurait dû se dresser et lancer son cri lorsqu’il avait perçu les ombres mouvantes, au sein des rochers. Il aurait dû prendre son envol et frapper de ses serres puissantes et rapides, les chairs goûteuses de ces ennemis. Mais son corps refusait de répondre à ses sollicitations. Il ne comprenait pas pourquoi et cela l’énervait. Il releva la tête avec difficulté, fixa les combattants qui s’approchaient de lui et entrouvrit le bec.

Ils sentaient la mort et le sang. Ils étaient l’ennemi. Ils devenaient un danger.

Tant que les combattants fawalas s’occupaient des miliciens, le grand oiseau observait la scène comme plongé dans un demi-rêve vaporeux. Mais maintenant qu’ils s’avançaient, les armes à la main, l’instinct sauvage reprenait le dessus et la fière monture frissonna dans l’air chaud et soudainement lourd. Il chercha du regard celui qui partageait ses jours et ses nuits. Mais son djuluf n’était pas là. Au fond de son esprit, il sentait encore le contact ténu qui liait pour la vie les deux êtres. Puis un souvenir fit irruption. Son djuluf était parti. Mais … Que lui avait-il dit ? … Je reviens ! Tu es libre de tes mouvements ! Sauve ta vie s’il y a du danger !

L’ankar observa la longe qui traînait au sol, libérée de l’anneau de métal encore ancré dans la roche. Conscient qu’il ne pourrait pas combattre les formes qui n’étaient qu’à quelques pas, l’oiseau sautilla maladroitement à trois reprises et se laissa littéralement tomber dans le vide des Gorges de Hul. Pour la première de sa vie, il eut peur de mourir. Et l’espace d’un instant son esprit se projeta vers celui en qui, il avait mis toute sa confiance et son amitié, son djuluf.

Basheer commençait à souffrir de la chaleur moite qui émanait de tous côtés. La roche elle-même, par de minuscules interstices naturels, laissait échapper de petits jets d’un air chaud et poisseux. Habitué aux mouvements d’air, installé sur l’encolure de sa monture, le djuluf suffoquait par instant dans cet air vicié, aux relents désagréables. De certaines fissures s’écoulait une pâte jaunâtre au goût âcre ; du souffre à n’en pas douter.

Le simple ton de la voix de Farah suffit à mettre en garde Basheer. A force de se côtoyer, dans des situations périlleuses, les habitudes prenaient le pas sur les réflexions. Il ne fut donc pas étonné lorsqu’il perçut le clin d’œil qui ponctua la phrase anodine. Négligemment, il s’arrêta à son tour et se désaltéra à sa propre outre en peau. Il reprit son arme d’une manière plus ferme et observa les ombres derrières eux.

C’est alors que la douleur naquit. L’espace d’un instant le djuluf chancela et s’appuya de sa main libre, contre la roche nue. Il avait eu l’impression que sa tête allait exploser sous la puissance de l’intensité des émotions entremêlées du rapace. La terreur pure et brutale qu’il venait de ressentir faillit l’entraîner dans l’inconscience. Son compagnon de vol venait d’être saisi de panique et d’angoisse. Le djuluf projeta toute sa volonté vers l’animal, en une caresse de calme, de confiance et de sérénité. Car tel était le pacte qu’ils s’étaient engagés à respecter ; Ne jamais abandonner l’autre.

L’animal parut rassuré mais la drogue eut à nouveau raison de sa lucidité et Basheer perdit le contact, sans avoir la certitude que l'oiseau fut en sécurité. Il murmura dans un souffle, sous le regard interrogateur de Farah :

"Je pense que nous sommes seuls à présent. Là-haut, il n’y a plus que sang et mort."

Le djuluf plongea son regard dans la pénombre, serra le manche ciselé de son cimeterre et dessina un rictus à la commissure de ses lèvres, tout en pensant intensément * Approche chien, je vais te montrer ce qu’est la peur !*

Cela faisait plusieurs minutes qu’il les suivait. Et il devait reconnaître que malgré sa grande résistance à la chaleur, l’air suffocant des souterrains lui était proprement insupportable. Sans aucun doute, l’humidité était la cause principale de son impuissance. Il préférait l’air sec et dur sous le cagnard du désert. Et son ample vêtement l’encombrait et l’alourdissait.

Trop sûr de lui.

C’est sans doute pour cette raison, que si près de ses cibles, il se permit une pirouette habile pour se délester de son habit. Le torse nu, dégoulinant de ses efforts, il s’était immobilisé le cœur figé lorsqu’il les avait vus s’arrêter.
Non, fausse inquiétude, sans doute. Comment pourraient-ils se douter ? Le maître Djuluf qui accompagnait la jeune femme, avait semblé se sentir mal. Et à présent reprenait quelques forces, voilà tout. Lui-même sentait souvent le sol bouger sous ses pieds par l’effet enivrant de la chaleur.
Il se glissa dans un angle de roche, d’où il pouvait apercevoir les détails de la scène, grâce à la faible lueur d’une sorte d’amulette que Farah Aksu brandissait.

Farah, milicienne, de Zorkhad, dont la réputation l’avait précédé. Il avait tant entendu parler d’elle, qu’il avait espéré ces moments aussi pour la rencontrer. Il l’imaginait son égale au féminin et avait adoré laissé son esprit partir dans de violents fantasmes. Dans d’autres circonstances il ne se serait pas gêné pour les réaliser, mais il était trop tôt. Son but était autre. Pour le moment.

Elle était là. La Clepsydre de Barwal trônait fièrement au cœur d’une voute de magma bouillant, le domaine sacré et secret des Houboutou. Ils avaient ainsi réussi à mettre la main sur le précieux trésor avant même que Darek-Idnach et Zhorkad ne fussent arrivés par la voie des airs. Le Pasha contemplait autant l’objet de toute les convoitises que la Kaya Kadin déjà sous l’emprise de l’obsession que pouvait provoquer la clepsydre.

Il lui confessa enfin :
« Kaya Kadin, nous savions qu’entre nos mains, ce présent de Dieu allait bientôt devenir notre plus grande erreur. »

La Kaya Kadin resta perplexe aux dires du Pasha et celui-ci tenta de se faire comprendre :
« Nous avons en effet déjà utilisé la clepsydre, une fois, la nuit dernière. Le rituel d’incantation nous a été divulgué par un jeune fawala égaré que nous avons fait parler sous la contrainte. Elle est parfaite vous savez, un outil divin, présent hors du temps et des lois du monde d’Azalaï. Nous avons percé son secret, le temps est malléable, d’autant plus lorsqu’un expert l’utilise. En effet, nous n’avons pu bénéficier que de quelques heures… »

Le Pasha voyait bien que son discours intriguait de plus en plus l’ancienne de Darek, il poursuivit :
« En effet, en l’espace de quelques minutes, j’ai pu apercevoir ce que serait notre avenir dans les prochaines heures. Imaginez-vous qu’avec un initié, celui-ci pourrait connaître l’issue de votre errance, le chemin des Hédénides !
Mais mon avenir parut bien sombre ainsi que celui de mon peuple, et j’ai réfléchi toute la nuit à ce voyage temporel. De toute évidence, tous les malheurs qui allaient s’abattre sur moi et mon peuple venaient de cette clepsydre. Elle est le joyau, tout autant que le fléau… »

Le Pasha actionna une manivelle qui fit se pivoter des roches à même la lave enjambant les rivières de feu et traça un chemin protégé vers la Clepsydre. Il la rejoignit, la délivra de son socle taillé dans la hâte et la tendit vers Nou’Ham :
«Tenez, prenez. Un tel pouvoir ne nous appartient pas et les bienfaits que nous pouvons en tirer ne valent pas le malheur qui pourrait s’abattre sur mon peuple. Nous sommes des Houboutou, nous ne prétendons pas à la quête des Hédénides, nous pensons que le paradis n’est pas de cette terre et que seule la vie après la mort est notre voie sacrée.
Tenez, prenez et allez-vous en. Faites ce que bon vous semble avec cette clepsydre mais loin du cœur Houboutou…»

Theylur fit rabattre le vol stationnaire de l’Ankar et réussit à tirer Aliena vers lui, en sécurité sur les premières marches de l’escalier taillé à même la roche. Ses cheveux miroitaient au soleil alors que son chouffir virevoltait encore dans les profondeurs et rapetissait à vue d’œil. Theylur sentit bien que cette perte lui était honteuse, elle se donnait en spectacle alors qu’elle cherchait la discrétion. Mais en ces temps pressés, rien ne comptait plus, pas même les traditions, il en bafouait une à chaque fois qu’il s’approchait de cette femme... Plus rien à perdre, tout allait changer…

Theylur lança un regard vers l’Ankar lorsqu’un autre volatile de sa caravane s’approcha et un Malanoï lui hurla :
« Seigneur, nous avons repéré des miliciens zhorkadiens, enfin plutôt ce qu’il en reste. Ils ont été surpris par plus nombreux qu’eux aux vues des traces qui entourent la zone du combat. Des traces de pas s’enfouissent également vers l’entrée d’une caverne près des gorges de Hul. »

Theylur prit en considération ces informations : les zhorkadiens étaient donc sur place, tout s’accélérerait à partir de maintenant, il fallait faire vite. Ils ont également été surpris et massacrés, ce ne pouvait être que les hommes de Swali, la donne se compliquait… Il réfléchit un bref instant et se tourna vers le Malanoï qui attendait ses instructions :
« Malanoï, tu vas alerter Darek-Idnach en envoyant le Narjar le plus rapide que tu possèdes avec un message : que Toufirh prépare des unités volantes et une légion terrestre aéroportées vers ici. Qu’ils ne bougent pas avant d’avoir reçu mes ordres, tu m’enverras un Narjar dans les grottes lorsqu’ils approcheront. Va ! »

Theylur se rendit alors compte qu’une guerre pourrait éclater, que ce soit contre une autre cité-betnazar, celle de Zhorkad ou contre un peuple fédéré, les Fawalas de Swali. Il devait se préparer à toute éventualité. Il se retourna vers Aliena :
« Viens, descendons, je vais ouvrir le chemin, reste derrière moi… »

Puis il entama sa descente, précédé par deux Malanoïs tandis que deux autres gardes suivaient Aliena. L’Ankar royal se dégagea du cône où les vents tourbillonnaient dangereusement. La descente au sein du cratère et du monde Houboutou commençait…

Emir n’avait pu regarder en face le massacre auquel il avait contribué. Voir ses compagnons d’infortune égorgés, pillés, massacrés… Il s’était dirigé lentement vers la dune d’où était arrivé le mirage mortel et l’avait gravit comme un zombi. Il ne pensait pas que cela tournerait ainsi. Il avait au moins espérer des prisonniers. Pendant qu’il sentait la nausée remonter du plus profond de ses entrailles, affalé sur le sable qui lui collait à la peau, il eut à peine le temps d’entrevoir l’image de sa femme, quand le néant le submergea. Un guerrier fawala, au visage neutre retira d’un geste brusque la lame qui avait transpercé le dos du traître. Les fawalas étaient sans pitié, violents et égoïstes, mais ils ne vivaient pas à proximité de la traîtrise. Ils l’éradiquaient. La force de leur tribu et sa survivance en dépendaient.

Du sang avait giclé sur sa tunique blanche, cela le contrariait énormément. Il détacha la ceinture ocre qui flottait autour de sa taille et essuya la souillure.
Il n’avait pas partagé l’effervescence meurtrière qui venait de prendre fin. Second de Swali et partageant les mêmes convictions, il avait orchestré l’action guerrière comme un musicien virtuose. Et maintenant que ce petit détail, étalé sur le sable, était réglé, il pouvait entamer la suite du plan.

Il commença par faire envoyer un narjar à la troupe en route pour les rejoindre, afin de les informer de la tournure des événements et leur redonner les recommandations de traitement de la petite « Millir ». Il n’était pas encore sûr de l’utilité de s’encombrer d’une enfant dans cette lutte et il n’aurait tenu qu’à lui de la faire exécuter depuis longtemps mais Swali avait insisté et il le craignait.

Ensuite, pendant que chacun se mettait en position. Il remonta au sommet de la dune et dos à l’entrée des gorges, face au soleil, il se concentra pour se laissa imprégner de sa puissance. Le sol sableux se mit à trembler. De petites avalanches poussiéreuses dégringolèrent et de la brume émergea un immense serpent de fer.
Les fawalas n’avaient pas beaucoup d’occasion d’utiliser leurs savoirs, à une telle échelle. Mais il n’avait pas perdu la main. Il s’effondra d’épuisement, remerciant inconsciemment le prophète Mohajésir pour l'enseignement donné à ses ancêtres pour les remercier de leur hospitalité...

Farah avait observé Basheer. Son esprit était troublé, son regard le trahissait.
Et si quelque chose s'était passé au campement ? Farah était dans une situation délicate. Devait elle rebrousser chemin pour s'assurer que tout allait bien, perdant encore un peu plus de temps ?

Son arme dégainée, elle était attentive au moindre petit bruit. Malheureusement la trace de celui qui les pistait avait disparu.

" Je ne sais pas ce qui se passe ici. Je n'aurais pas du passer par ces grottes, je suis désolée de t'avoir emmenée..."

Farah devait l'avouer, elle avait mal opéré son infiltration. Elle était perdue et avait déjà perdu un temps précieux.

Rangainant son arme, elle soupira. Soudain, la terre se mit à trembler. Se retenant contre une paroi pour ne pas perdre l'équilibre, elle fut étonnée par ce phénomène peu naturel. Une faille apparut dans le sol a plusieurs mètres des deux zhorkadiens. Une fissure assez importante s'était ouverte .

S'approchant lentement, Farah y jeta un oeil, en orenant garde de ne pas tomber dans le trou béant. les secousses avaient cessé.

C'était incroyable ! Farah et Basheer se trouvaient dans un couloir placé juste au dessus d'une immense salle qui ne pouvait être que l'arsenal des fawalas !

Farah eut à peine le temps de voir passer une énorme machine de fer.

Chuchotant, elle dit à Basheer , lui indiquant le passage qui s'était créé :

"Viens vois ça ! Je crois qu'on va pouvoir passer à l'action ..."

Khrul !

C'était son nom autrefois ...
Fidèle conseiller de sa majesté Hassim Bassar, Grand Illustre fondateur de Zhorkad, Khrul était un atout pour la cité.

On raconte d'ailleurs que les décisions politiques étaient prises en binome.
Hassim considérait Khrul comme son frère, partageant tout ou presque...

Un jour, Issam la femme d'Hassim eut une relation avec Khrul. Ils tentèrent de cacher ce lourd secret au Grand Illustre. Mais la famille Bassar à vent de tout et le châtiment d'Hassim fut immédiat :

Khrul fut torturé un mois entier, puis maudit des terres azalanes par l'ordre des prêtres azalans , il fut jeté dans les abîmes de Jyheh.

Son esprit torturé erra plusieurs siècles durant, avant qu'un ordre de prêtre ne l'invoque au cours de la guerre des Brara. Son esprit prit la forme d'un djinn ( âme prenant la forme d'un génie et obéissant plus ou moins a son invocateur).

Khrul était devenu une machine de guerre, qui à lui seul pouvait décimer une armée entière.Mais il était aussi imprévisible...

Aujourd'hui Khrul avait prit possession du corps d'un pauvre conseiller de Nasek.
Le rituel d'invocation avait duré des heures, si bien que Nasek sortit de la pièce en titubant. Il concentra ses dernières forces pour rejoindre sa chambre.

S'affalant sur le lit, il s'endormi presque immédiatement, content que Khrul allait bientôt pouvoir frapper ... fort ...

Dans la grande salle de prière, quelques disciples n'avaient pas survécu au rituel, pas assez concentrée, leur esprit avait été aspiré dans l'autre monde.

Khrul était debout au centre du cercle, sous les traits du conseiller. Les yeux avaient disparus des orbites . A la place, des flammes noires s'agitaient.

Les disciples s'écartaient , apeurés. Le djinn emprisonné à l'intérieur du corps du conseiller n'attendait qu'à être libéré ...

Lors de la secousse, Swali dut s’accrocher aux parois de la roche pour ne pas trébucher et se faire repérer. Se pouvait-il que ses hommes aient déjà déclenché la seconde partie du plan ? C’était un peu trop tôt ou Swali n’avait tout simplement pas vu le temps passer, à ramper dans l’atmosphère étouffante à scruter ses ennemis. Lorsqu’il vit ces derniers se faufiler dans les entrailles de la terre, il comprit qu’il avait vu juste. Très bien, il se servirait d’eux d’une manière ou d’une autre.
Il avait hâte à présent de rejoindre ses pairs et l’immense animal de fer qui allait leur ouvrir la voie, tel qu’il l’avait imaginé.

Il se souvint l’espace d’un instant, la fièvre qui l’avait emparé lorsqu’il était jeune garçon et que son père lui avait conté la légende des houboutous et de leur engin des cendres dures.
Il y a près de 400 ans, lorsque cette peuplade dut se cacher dans les profondeurs azalanes, profitant des rugissements pour se faire oublier, la terre crachait le feu avec férocité.
La légende raconte qu’avant de se résigner à vivre dans la noirceur éternelle, ils auraient conçu un engin fait d’un mélange de sable associé à la lave pâteuse et d’autres sombres ingrédients, qui, une fois refroidis, avaient la propriété de ne pas fondre au contact des pires chaleurs ou des coulées les plus dévastatrices.
La légende ne dit pas pourquoi cette formidable invention, qui leur aurait donné à cette époque une supériorité absolue sur tous les peuples, fut perdue ou oubliée. Des anciens parlaient d’un endroit où le vent s’enfuyait en rugissant pour ne pas être aspiré par les profondeurs de la terre.

Les gorges de Hul.

Swali avait toujours nourri l’espoir de retrouver la légende. Mais encore une fois, ses recherches acharnées ne furent pas vaines. Une terrible tempête de vent qui l’immobilisa pendant plusieurs heures lui offrit contre toute attente, non la mort, mais un éclat étrange à la surface du sable qui laissait deviner un objet enfoui. La chose s’avérait si immense et si profonde, qu’il patienta. Il se dit – « Mes guerriers les plus doués sauront, quand la passion échauffera leur cœur et que le sang tachera leur main, trouver la force. »

Quand il ressentit à nouveau les vibrations sous ses pieds, il sut que ce jour était arrivé.

Les tambours de Mol’hem venaient de retentir, milles Narjars s’envolèrent et envahirent le ciel virevoltant d’une bout à l’autre du Betnazar parcourant les dunes. Les femmes prirent leurs enfants et se réfugièrent dans leurs demeures tandis que les hommes étendirent filets, nasses, panneaux et cordages pour protéger les meubles, les denrées et ustensiles de toute sorte.

Les tambours hurlaient toujours. Leur rythme était encore lent mais tout le monde s’attendait à l’accélération, imminente. On hurlait dans les rues, les masses se faufilaient et s’engouffraient aux abris, fermaient les fontaines et se barricadaient. On étendait d’épais linges sur les fenêtres pour ne pas suffoquer sous les masses de sables qui s’élèveront bientôt.

Dro’han se hâta d’atteler son Betnir et se pressa de gravir les marches de la tour de Karaki et déclara :
« Intendant Youssouf ! Les tambours de Mol’hem retentissent au rythme d’alerte. Les Barjars avertissent les camps de guerriers le long des murailles et des casemates. Le conseil Djuluf est au grand complet à la tête du Betnazar, nous n’attendons plus que vos ordres. »

Youssouf se détourna du messager et fit un signe à ses lieutenants, l’un d’eux demanda une dernière fois :
« En êtes-vous bien sûr ? Une fois que le mouvement est lancé, il est très difficile de faire marche arrière et je doute que toutes les fortifications tiendront sur une telle distance… »

Youssouf l’interrompit et lui rétorqua :
« N’ayez crainte Lieutenant Bakrim, elles tiendront. Je n’ai guère le choix. Nos agents de Zhorkad nous prédisent le pire à venir pour notre Illustre en quête de la Clepsydre et des messages peu rassurants nous parviennent des contrées en marge, avec des mouvements de troupes semi-nomades. Si nous n’agissons pas immédiatement, il sera trop tard… Allez-y ! »

Bakrim fit un signe à Dro’han et annonça dans la salle de conseil :
« Que Mohajésir soit avec nous ! Avertissez les Djulufs, parez tous les guerriers, qu’ils soient prêt à intervenir ! »

Dro’han se précipita une fois encore, escalada la tour de Marbel. Il approcha des hommes toujours en train de battre le rythme sur les tambours géants de Mol’hem. Il leur fit un signe de la tête et leur mouvement s’enchaîna dans la foulée, le rythme s’accéléra, les cris au loin aussi…

Puis, les murs se mirent à trembler, la poussière plongea la cité dans un épais brouillard dont seuls émergeaient les tambours. Dro’han descendit tant bien que mal les escaliers de la tour et retourna à la salle du conseil alors que le sol tremblait et tanguait plus fort que jamais. Il y parvint enfin et hurla à travers la pièce :
« Rythme de croisière !!! Darek-Idnach est en train de cavaler vers les gorges de Hul Intendant Yousouf !!! »

Tous se cramponèrent, certains priaient tandis que d'autres se préparaient déjà au combat...

Des Ankars s'envolaient pour ouvrir la voie de l'animal géant, des milliers de Narjars battaient la poussière, les catapultes furent chargées, betnirs de guerre parés, les Undukis affutaient leurs lances et on attelait les Darawal, des Karbars rugissaient dans les entres prêt à bondir...

Le Pasha tendit la Clepsydre à Nou’Ham qui comme dans un rêve la saisit. Le temps sembla s’arrêter tout à coup, elle sentit en elle la force de l’objet, la douce chaleur qu’il dégageait semblait envahir sa main et l’engourdir. Elle était comme envoûtée par une puissance abyssale et son esprit était aspiré dans un tourbillon. La réalité lui échappait.

Lorsque Nou’Ham repris ses esprits, le sol de la caverne tremblait. Elle vacilla, lâcha la clepsydre qui roula à un mètre d’elle et se retint à la paroi rocheuse. Elle réalisa alors que le Pasha avait profité de la magie de l’objet pour s’eclipser, les gants qu’il portaient l’avaient protégé. Combien de temps s’était-il écoulé ?

Elle enleva le voile qu’elle portait sur les épaules et enveloppa précautionneusement le mystérieux objet dedans. Le sol continuait de trembler, elle se sentait affaiblie, la peur l’envahie… elle vit alors que la porte par laquelle elle était entrée avec le Pasha était toujours ouverte, elle repassa dans le sas rocailleux et découvrit soulagée que quelqu’un avait déposé là ses affaires, son petit sac de peau avec ses onguents et sa dague. Une âme attentionnée, quelqu’un qui voulait qu’elle puisse se protéger ? Elle glissa la dague à sa ceinture, fourra la clepsydre dans le sac qu’elle mis en bandoulière et sauta dans la nacelle en poussant le levier afin d’actionner son ascension.

Si ce que le Pasha lui avait dit était exact, personne à part lui ne connaissait l’endroit où était cachée la Clepsydre, elle pouvait donc retourner tranquillement en haut et personne ne saurait ce qu’elle cachait dans son sac. Si seulement Theylur savait qu’elle se trouvait ici… s’il savait qu’elle l’avait retrouvée… mais comment la mettre à l’abri.

Dans le noir, la nacelle remontait lentement et la Kaya Kadin élaborait déjà un plan pour rejoindre Darek-Idnach au plus vite. De là-bas elle pourrait communiquer avec Theylur. Pourvu que le Pasha, comme elle l’espérait, ait pensé à un retour rapide…

Anéantie, l'expédition de Zhorkad était un fiasco. Seuls Basheer le Djuluf et Farah la milicienne étaient encore en vie, quelque part dans les profondeurs des Gorges de Hul.
Trouver la clepsydre de Barwal devenait de plus en plus compliqué.
Heureusement, le pauvre conseiller de Nasek qui avait fait les frais du rituel d'invocation du djinn, avit eu la présence d'esprit d'envoyer des renforts...

A plusieurs centaines de foulées de Betnazar du camp décimé, au milieu de nulle part, des dunes se mirent à soudainement changer de forme. Le sable semblait être emmené dans le sillon de quelque chose...

A la manière d'un sablier, un trou semblait aspirer le sable qui s'écoulait créant un gigantesque cratère. Une patte immense sortit du centre de celui-ci. Peu à peu l'animal se hissa hors du sol.

Il s'agissait d'un Akkok (sorte d'immense tortue des sables à carapace, mais qui ne dispose que de deux pattes avant ).
Sur la tête fripée et craquelée de l'animal, un djuluf équipé de binocléas, dirigeait l'animal.

Une fois à l'air libre, le djuluf ordonna à la bête de se coucher à terre, afin qu'il puisse se repérér.
Les gorges n'étaient effectivement plus très loin !
Détachant soigneusement ses jambes qui étaient solidement liées à une judicieuse structure qui permettait de ne pas tomber de l'animal, le djuluf jeta ensuite une corde pour descendre les 10 mètres qui le séparait du sol désertique.

Arrivé en bas , il hurla des paroles que seuls les djulufs comprennent, afin que l'animal ouvre sa carapace. Celle-ci se scinda en quatre tandis qu'une centaine de miliciens armés, en descendaient. L'Akkok était l'animal de transport par excellence des troupes zhorkadiennes.

Le djuluf sortit ensuite une corne de Traga, sonnant le rassemblement. Ce n'était plus une, mais des centaines de dunes qui vibraient à présent. Une nuée d'Akkoks s'extirpait du sol ...

Un sourire de satisfaction laissa entrevoir les dents gâtées et sombres du chef de l’expédition fawalas, en charge d’escorter la fille de Swali ak’madar. Le message qu’il venait de recevoir confirmait les plans élaborés il y a maintenant plusieurs semaines et il pouvait mener son équipée plus sûrement encore vers l’issue de leur bataille. Un cri rauque sorti de sa gorge grassouillette et enflamma sa poitrine, encourageant la troupe d’un élan d’espoir. Le point levé, il donna un coup de talon à sa monture qui s’emballa et son cri accompagna sa remontée le long de la file qui avançait en direction des gorges de Hul. L’assemblée lui répondit d’une même acclamation et arrivé en haut d’une dune, l’homme se retourna pour contempler l’enfilade de guerriers, de tous âges venus pour se battre.
A pied, à cheval, escortant des caravanes tirées par des betnirs vigoureux, les fawalas, exclusivement masculin, avaient tous revêtus leur vêtements blanc rehaussés d’une ceinture ocre et d’un chouffir indigo. Une véritable armée dont la force principale était la rage.

Le vent qui arriva jusqu’à son visage, charria à l’homme un chant traditionnel entonné par la foule. Il put discerner à travers les voix masculines, les sanglots d’une enfant qu’il ne reconnaissait que trop bien. Cela lui arracha un rire gras et il reprit à son tour le refrain, tout en avançant plus vite...

Theylur prit la main d’Aliena et jeta un regard à un Malanoïs tout proche, lui signifiant que sa mission serait dorénavant de veiller sur elle, à tout prix. Il savait se faire comprendre sans prononcer le moindre mot avec ses gardes ancestraux. Ils descendirent ainsi en silence et avec grande précaution les marches du grand escalier taillé à même la paroi de la caldeira. Les parois de matière volcanique empestaient le souffre et suintaient d’une eau putride et jaunâtre. Les marches glissantes s’échappaient parfois sous les pas du groupe qui s’engouffrait de plus en plus. Des pics saillants venaient compliquer leur descente aux enfers les obligeant à rester très prudent.

Theylur qui ouvrait la voie ne pouvait s’empêcher de jeter des regards derrière son épaule pour bien vérifier qu’Aliena ne rencontrait aucun problème tandis que trois Malanoïs s’assuraient de leur sécurité en scrutant les marches au loin pour éviter toute mauvaise surprise au Grand Illustre de Darek-Idnach. Alors que le ciel s’éloignait et ressemblait à présent à un point bleuté fuyant au-dessus de leur tête, ils atteignirent une sorte de passerelle qui traversait le cône du volcan de part en part. Ils l’empruntèrent et se retrouvèrent en face d’une série de corridors qui ouvraient eux-mêmes sur d’autres couloirs, un véritable dédale.

Theylur dit :
« Pas étonnant que personne ne les ai vu depuis près de 300 ans, les Houboutou sont passés maîtres dans l’art des fausses pistes on dirait. Mais un Houboutou lui-même devrait s’en sortir, prenons par là. »

Le groupe se faufila dans un boyau rocheux et pénétra dans une sorte de salle dallée. Des masques étaient taillés à même les parois de pierre noire, regard hagard et bouche béante comme pour crier à l’intrus. Mais un Malanoïs franchit le seuil de l’entrée et se fit transpercer l’épaule par un pieu qui fusa d’une des bouches des masques gardiens. Sa vivacité et sa célérité lui ont sauvé la vie, son cœur évitant l’irréparable.

Theylur se retourna et annonça :
« Ce ne doit pas être par là… »

Nou’Ham arriva enfin sur les hauteurs du gouffres après une interminable remontée des profondeurs Houboutou et du sanctuaire du Pasha. Elle détenait toujours la Clepsydre dans sa besace, à laquelle elle se cramponnait solidement. En haut, un groupe de guerriers Houboutou l’attendaient. Ils s’avancèrent, l’aidèrent à descendre de la nacelle et un homme aux vêtements trop larges pour sa taille lui annonça très officiellement :
« Kaya Kadyn de Darek-Idnach, nous sommes des Emissaires du Pasha. Nous avons pour mission de t’escorter à travers notre cité souterraine, de te mener à la sortie de nos dédales et te ramener sur ton Betnazar. Je suis Angouma, détaché à ta sécurité. »

L’homme de petite taille avait récité son texte d’une traite et semblait bien mal à l’aise dans sa posture de chef d’escouade. Il prit Nou’Ham à part et lui confia à l’oreille :
« En réalité, il se trouve que je ne suis que responsable du ravitaillement mais comme tout le monde est prit par l’activité intense qui se trame à la surface, il n’y avait plus que moi. »

L’homme de plus en plus gêné mais attendrissant continua :
« Mais ne vous inquiétez pas, j’ai pris ce qu’il fallait en armes légères. J’ai rempli les cabas de nos Gnawoura de fioles et bombonnes d’Ardentir. Si on s’attaque à nous, j’aime mieux vous prévenir que vous allez assister à un joli feu d’artifice !! »

L’homme gloussa, enchaîna un rire nerveux et se reprit pour adopter un ton plus sobre et professionnel :
« Bien, madame. Si vous voulez bien vous donnez la peine de monter sur Pérouz, c’est un Gnawoura un peu grincheux mais fidèle et très doux. Hum, bref. Restez derrière moi vous serez en sécurité »

Angouma se retourna et la dernière phrase qu’il avait prononcé résonnait dans as tête : « restez derrière moi », « vous serez en sécurité », mais qu’est ce qu’il racontait. Lui, le cuisinier allait bientôt se retrouver à la surface alors que toutes les troupes Houboutou étaient sur le pied de guerre à surveiller les mouvements fawalas et les Ankars virevoltant…

Angouma monta sur son Gnawoura et annonce pour motiver ses troupes : « Allez, et comme dirait mon oncle Bamouna « Mardouk Iben Kardak !!! » Le vaillant Houboutou plein de bonne volonté donna un coup de pied dans le ventre de son Gnawoura, qui projeta un cri rauque et ils se mirent à chevaucher au milieu de la cité souterraine qui s’étendait le long du gouffre…

Le jour se levait se Vednoïa. Les premiers rayons du soleil traversèrent les fenêtres du couvent et vinrent réveiller An’joum. D’un bond, elle se leva, se rappelant subitement les nouvelles de la veille. Deux novices la revêtirent de sa longue robe ocre et lui passèrent l’étole sur ses épaules. Les chants des norjads retentirent et toutes les prêtresses se réunirent autour de l’autel sacré.
Majestueuse, la Grande Prêtresse fit son entrée. Elle baisa le sable sacré, salua le vent puis regarda ses élues.

Toutes s’étaient préparées au départ mais on sentait en chacune d’elles une inquiétude naissante. Elles étaient fières d’avoir été choisies pour cette mission mais avaient déjà la nostalgie de la quiétude dont elles jouissaient. Elles voyaient les novices, qui se donnaient un air assuré, puisque la charge du Betnazar et de tous les cultes leur revenaient jusqu’à leur retour.

En silence, les Djoulaès prirent leur place au devant, se préparant à mener leurs consoeurs par la seule force de leur esprit. Elles joignirent leurs mains et commencèrent à se concentrer. Les autres prêtresses, dans leurs longues robes légères se placèrent debout derrière elles. Doucement, les tapis se mirent en lévitation, au raz du sol. An’joum, qui se tenait seule sur le premier avec sa Djoulaè sentait le vent qui balayait ses cheveux et sa robe. En osmose avec les autres prêtresses, les paumes tournées vers le ciel, elle priait Mohajésir afin qu’il l’aide à trouver une issue aux événements tragiques qui se profilaient.

Toute cette procession solennelle se dirigeait vers les Gorges de Hul.

Nou’Ham, juchée sur son Gnawoura, se cramponnait à sa selle de fortune en espérant que la bête ne se cabrerait pas en sentant son malaise. Une odeur de paille, de boue et de poussière lui montait aux narines ; ce Pérouz ne devait pas faire partie de l’attelage du Pasha…
Elle sentait bien également le mal-être du petit homme dodu qui la devancait, il n’était pas soldat, elle le savait. Que se passait-il donc de si terrible pour que le Pasha n’ait plus que cet homme là pour l’escorter… ?

Peu importe, de toute façon elle devait remonter et rentrer par n’importe quel moyen, ou alors retrouver Theylur… en espérant qu’il ne lui soit rien arrivé.

Alors qu’ils cheminaient dans le noir, lentement et depuis plusieurs heures maintenant, elle commençait à sentir la fatigue des derniers moments peser sur elle, bercée par le pas nonchalant du brave Perouz; elle se détendait.

Mais des bouffées d’angoisse la tenaient éveillée quand elle repensait à la clepsydre. La conserver dans sa besace lui semblait imprudent et elle cherchait un moyen de la cacher autre part, mais impossible de la laisser dans l’un de ces vastes couloirs creusés dans la roche, jamais elle ne la retrouverait là. Elle ne voulait pas confier son fardeau au petit homme qui l’accompagnait car elle ne le connaissait pas… Il fallait trouver une solution.
Son Gnawoura portait tout comme celui d’Angouma des cabas remplis certainement de fioles qu’elle entendait cliqueter à chaque pas.
Profitant de ce que la luminosité baissait, elle glissa discrètement la clepsydre enroulée dans son étole en soie à l’intérieur du cabas en enlevant trois des fioles qu’elle mis dans sa besace à la place.

A peine avait-elle finit de faire l’échange, qu’elle vit Angouma lever la main afin de leur intimer le silence. Ils s’arrêtèrent. Tous les sens aux aguets, elle perçut effectivement des bruits de pas un peu plus loin devant eux dans le couloir de roche et vit la lumière de torches onduler le long des parois.
Ce qu’elle vit alors lui redonna toute sa vigueur… l’ombre qui se profilait sur le mur et avançait vers eux, précédant un groupe d’hommes, semblait être celle de quelqu’un qu’elle ne connaissait que fort bien. Cette ombre semblait être celle de Theylur…

Les deux zhorkadiens avaient prudemment entamé leur descente, s'agrippant aux prises naturelles des murs. La grande pièce était un entrepôt improvisé où de nombreux coffres en bois léger parsemaient le sol de manière anarchique, soit ouverts,ou bien encore empilés dans un coin.

Farah arriva la première et se cacha derrière une des colonnes qui permettait de soutenir la galerie. Aucune animation n'était perceptible, la pièce était déserte. Une énorme entrée creusée à même la pierre constituait la seule issue .
Sa grandeur était compréhensible au vu du monstre méchanique qui s'y était engouffré.

Rejointe par Basheer, Farah décida d'ouvrir un coffre. Celui-ci contenait quelques fioles dont le liquide n'inspirait pas confiance. Elle le referma puis choisit un coffre plus grand.Ce dernier contenait des sacs de poudre de Fermol. Cette substance très dangereuse, explosait au contact de l'eau.

Soudain, des voix d'hommes s'élevèrent dans le couloir à l'extérieur de l'entrepôt. Farah resta immobile.
Une dizaine de Fawala entrèrent, le sourire aux lèvres, plaisantant sur leur exploits de massacre contre un camp zhorkadien.

* Ils ont anéanti le convoi ! *

Se manifester maintenat était du suicide, mais la colère de Farah était trop forte. Son caractère fougueux avait atteint son apothéose lorsqu'elle avait entendu les mots des Fawalas.

Farah se leva pour se faire volontairement remarquer. Le groupe de Fawala était entré dans la pièce.
L'un d'eux remarqua l'intrus zhorkadien.

"Un milicien zhorkadien !!!!!!!!!" hurla t-il, en dégainant son épée. Les autres firent de même , tandis que le groupe en furie chargea Farah.

Le regard noir de mépris et de vengeance, elle se saisit du coffre qu'elle avait à ses pieds, puis tournoya sur elle même en effectuant sa danse d'entrainement.

Les Fawalas n'étaient plus très loin. Farah lanca le coffre vers eux, en utilisant la force centrifuge de ses rotations répétitives. Le coffre vint s'éclater sur le Fawala le plus proche, provoquant un nuage de fumée, tandis que Farah perdit l'équilibre du fait de son effort.

Rapidement, elle ouvrit son outre puis , se relevant au plus vite jeta le contenu sur le groupe de fawala. Au contact de l'eau, la poudre de Fermol fit des étincelles. Farah n'eut pas le temps de se mettre à couvert, qu'une explosion retentit. L'effet de souffle projeta la zhorkadienne à plusieurs mètres.
Les fawalas n'étaient plus un problème mais deux colonnes avaient cédé et le plafond commencait à se fissurer. L'endroit n'était plus du tout sécurisé ...